Parmi les tourments du moment pour nombre de personnes bien et moins bien intentionnées : le porc. Ceux qui en mangent, ceux qui n’en mangent pas, etc. Mais d’où vient le tabou alimentaire de la consommation du porc ?
À l’attention des deux communautés, un petit rappel, le porc (Sus scrofa domesticus), c’est ça :
Pas de raison de s’écharper, donc.
Mais l’occasion de tenter de comprendre les origines profondes d’un tabou alimentaire qui concerne environ un quart de la population mondiale. Juifs et musulmans, bien sûr, mais aussi diverses autres religions et sectes, et même les shamans d’Amazonie, ainsi que nous l’avions mentionné dans un autre billet consacré aux tabous alimentaires, Le christianisme nuit-il à la biodiversité ?
Les raisons possibles de cet interdit, résume Wikipédia, s’énoncent ainsi :
- symbolique négative
- exposition aux maladies et parasites
- proximité physiologique entre l’homme et le porc
- inadaptation du porc aux climats arides
- sédentarité (incompatible avec la vie des peuples nomades)
Dans la mesure où, ainsi que l’a montré Jared Diamond dans De l’inégalité parmi les sociétés, l’homme a domestiqué tout ce qu’il pouvait domestiquer (le faible nombre d’espèces domesticables étant l’une des causes de ladite inégalité), les deux premières raisons me semblent ne pas tenir la route, non plus que la troisième, qui revient à expliquer un phénomène millénaire à l’aune d’une connaissance moderne.
Les deux dernières raisons paraissent plus prometteuses. Et il se trouve qu’elles sont au centre d’une hypothèse qui ne mange pas de porc, heu, pas de pain, émise par Richard W. Redding, Professeur d’Anthropologie et Conservateur pour l’Archéologie du Proche-Orient au Muséum d’Anthropologie de l’Université du Michigan, publiée dans le Journal of Archaeological Research de mars 20151. Redding y montre que le porc a bien évidemment fait partie de l’économie de subsistance du Moyen-Orient avant de connaître un déclin brutal. Ce déclin est antérieur à toute proscription de nature religieuse et doit, en substance, plus à l’arrivée d’un redoutable concurrent qu’à une défiance quelconque…
Le porc dans le big four
Avant de voir un peu plus en détail l’idée de Redding, il convient de rappeler que le porc, c’est-à-dire la version domestique du sanglier, fait partie du big four des domestications holocènes, celles du bœuf, du mouton, de la chèvre, et donc du porc, toutes enregistrées il y a 10 500 ans et dans la même région, le sud-est de la Turquie.
À l’inverse de ses compagnons de servitude, le cochon a été domestiqué à de multiples reprises, puisqu’on sait par l’archéologie que la Chine est un autre foyer de domestication indépendant, quelques millénaires plus tard, et par la génétique qu’il y a d’autres centres de domestication en Europe centrale, en Italie, en Inde et en Asie du Sud-Est. La raison en est sans doute la large répartition naturelle du sanglier, présent dans tout l’hémisphère nord. Pourquoi dès lors se priver de domestiquer — et manger goulûment — une espèce ayant l’amabilité d’être aussi disponible ?
Voilà qui nous ramène au propos de Redding. Le porc a donc été au menu néolithique du Moyen-Orient pendant des millénaires, ce qu’attestent les restes fauniques de très nombreux sites (il représente plus de 7 % de la faune domestique dans le Croissant fertile, entre 5000 et 2000 av. J.-C., par exemple), mais peu les textes (alors que bœufs, chèvres et moutons sont abondamment mentionnés) : dans l’économie de subsistance des régions arides et semi-arides du Moyen-Orient, dit Redding, le porc était une ressource de protéines pour les foyers, mais n’intéressait guère le pouvoir central.
Concurrence des volailles
Puis autour de 1000 avant J.-C., l’élevage et la consommation du porc disparaissent quasiment des archives. Et le fautif de cette disparition serait… le poulet. Non pas pour des raisons idéologiques ou religieuses, mais pour des motifs purement pratiques. Le poulet, qui apparaît au Moyen-Orient à la toute fin du second millénaire ou au premier millénaire, avait, dans ces économies, plusieurs avantages par rapport au porc. C’est d’abord une source de protéine moins gourmande en eau, requérant 3500 litres d’eau pour produire un kilo de viande, contre 6000 pour le cochon. Ensuite, c’est la source d’un produit secondaire pas inintéressant, l’œuf. Si vous préférez l’occire, il peut être consommé entièrement par un foyer en 24 h (en étant large), ce qui est beaucoup plus difficile avec un cochon et pose le délicat problème d’avoir à conserver d’importantes quantités de viande sous un climat qui ne s’y prête pas. Enfin, quand vous êtes nomades, voyager avec un poulet est plus commode qu’avec un porc.
Selon Redding, dans ces circonstances, conserver et le porc et le poulet n’aurait guère eu de sens, et le poulet est donc devenu une ressource en protéines majeure, au détriment du porc, qui a toutefois continué d’être élevé là où les conditions environnementales (forêts, marais) s’y prêtaient mieux, même une fois les tabous alimentaires installés.
Et de conclure : « Si le porc avait encore fait partie intégrante de l’économie de subsistance du Moyen-Orient, il n’aurait pas été interdit » par des édits religieux.
Si l’hypothèse paraît faire sens, elle doit encore être étayée par de plus amples données archéologiques. Mais les études sur le poulet (dont les restes sont beaucoup plus difficiles à mettre en évidence) sont pour l’heure le parent pauvre de l’archéozoologie, ainsi que le reconnaît Redding.
Source
Publication en téléchargement gratuit ici.
- Richard W. Redding, The Pig and the Chicken in the Middle East: Modeling Human Subsistence Behavior in the Archaeological Record Using Historical and Animal Husbandry Data, Journal of Archaeological Research, March 2015 ↩
Pingback: À propos de musique et d’Islam, de singes et de porcs, de djihadistes et de The Clash… oh et puis aussi de tatous |
Cet article est vraiment bizarre, il soulève un tabou en mélangeant une vision moderne avec des faits historiques.
il n’y avait pas de congélateurs à cette époque quand même.
extrait :
Et de conclure : « Si le porc avait encore fait partie intégrante de l’économie de subsistance du Moyen-Orient, il n’aurait pas été interdit » par des édits religieux.
Les interdits alimentaires et celui du cochon en particulier pourraient tout aussi bien venir de facteurs politiques (ou politico-économiques) jusqu’ici non identifiés. Les historiens & archéologistes qui s’interrogeront sur le rejet des aliments OGM en Europe au XXIème siècle constateront sans doute qu’il est pas nécessaire de disposer d’un argument logique pour décréter un tabou.
Le cochon est évidemment un animal très domestique qui vit à la maison, mange les restes & ne coûte pratiquement rien, il est probablement moins intéressant pour les grands propriétaires que le mouton qui nécessite de grands espaces, des bergers, des enclos et qui peut rapporter gros. Le porc est la nourriture du prolétaire; ceci explique peut-être son rejet par les puissants de l’époque qui pouvaient compter sur le clergé pour justifier leurs intérêts économiques.
La comparaison entre un débat qui a au mieux 50 ans d’existence (je n’en sais rien, hein!) et un processus qui prend des centaines ou plus probablement des milliers d’années est toujours très hasardeuse…
Un peu contradictoire quand même, votre histoire…
« 2. exposition aux maladies et parasites
[…]
les deux premières raisons me semblent ne pas tenir la route »
Puis :
« ce qui est beaucoup plus difficile avec un cochon et pose le délicat problème d’avoir à conserver d’importantes quantités de viande sous un climat qui ne s’y prête pas »
Ça pourrait donc bien être à cause des maladies qu’on attrape facilement avec de la viande de porc mal conservée.
Bonne observation. Qui m’amène à préciser un peu: la question sanitaire ne me paraît pas être une cause première, sinon on n’aurait pas domestiqué l’espèce partout / continué son élevage même après interdit ; en revanche, cela est un des facteurs qui fait que le porc perd le match contre le poulet.
Le cochon est la viande la plus « Conservée » des quatre !!! En Espagne presque tout du cochon est conservé, soit « embouti » soit en salaison. Surtout il faut comparer quantitativement avec le mouton ou chèvre équivalents en volume. Ou avec la Vache (Vous, en France, dites Bœuf, même s’il ne l’est pas). Votre argumentaire ne me semble pas convainquant. Vous écartez trop vite les premières hypothèses. La Trichinose du cochon est connue depuis toujours. Je trouve cette hypothèse beaucoup plus convaincante. Par ailleurs, les religions monothéistes n’ont jamais été très logiques, ni cohérentes.
Merci beaucoup pour votre commentaire.
L’argument de la Trichinose est depuis longtemps abandonné, il me semble, parce que d’autres animaux au Moyen-Orient en sont porteurs et parce que le porc est consommé ailleurs, dans la bande des tropiques ; de plus, il suffit de cuire correctement la viande, je crois.
Pour ce qui est de comparer aux autres gros mammifères, je ne saisis pas votre point de vue: ils ont été élevé de pair avec le porc pendant des millénaires, ils ne sont pas a priori pas liés à sa disparition.
OK, ça peut expliquer pourquoi il n’a plus été élevé mais pas pourquoi il est devenu interdit.
Absolument, le motif de l’interdiction est propre à chaque religion, on sort de l’archéologie, qui éclaire simplement le contexte dans lequel vont naître ces interdits.
Mais… corrélation n’implique pas forcément causalité, si ?
certes. c’est du reste présenté comme hypothèse. et en archéologie, il faut bien qu’on se risque à l’interprétation à un moment donné…
Le porc était aussi interdit par la religion catholique. Il a finalement été autorisé dans le nouveau testament, mais dans l’ancien, il était bien spécifié qu’il était interdit de manger du porc.
Et dans l’ ancien testament, c’est écrit où ce passage d’interdiction du porc ?
Et le Futur testament il en dit quoi?
Merci pour cette article. Cependant, la vrai raison de l interdiction du porc chez les musulmans et les juifs est d ordre sanitaire. L interdiction vien du Canibalisme directe ou indirecte. En general, c est interdit de manger tous les carnivores(avec Canines). Et si je me permets de rajouter que le porc etait longtemps destiné qu aux pauvres ( tous se mange dans le cochon) mais pas à aristocratie chretienne…
Très intéressant, merci pour cet article. Cette hypothèse est satisfaisante d’un point de vue scientifique.
Par contre, il me semble qu’il n’y a finalement que 2 centres de domestication confirmés pour le porc : Moyen-Orient et Chine. Larson G, Burger J. 2013 – A population genetics view of animal domestication. Trends in genetics 29, 197-205.
Merci pour votre commentaire Théo,
Je ne connais pas la publi, mais c’est le même auteur qui avait révélé l’existence de ces foyers.
Dans une publi de 2014, on dit que « Genetic research over the last decade on both ancient and modern Sus reveals at least six phylogeographically distinct wild boar lineages have contributed mtDNA to domestic pig populations across the Old World » (Marshall et al, Evaluating the roles of directed breeding and gene flow in animal domestication, PNAS, April 29, 2014), ce qui signe des domestications.