[On refait le match] Orque VS requin


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Si la question « Qui c’est le plus fort, l’éléphant ou l’hippopotame ? » reste scientifiquement discutée, son équivalent océanique paraît devoir être tranché net : face au péril orque, le grand requin blanc a les foies – ou plutôt, il ne les a plus…

Gansbaai, Afrique du sud. Autopsie d’un grand requin femelle de 4,9 m de long, prédaté par des orques. ©www.sharkwatchsa.com


Orque 3 – 0 Requin

Au début du mois de mai 2017, en l’espace de quatre jours, pas moins trois carcasses de grand blanc (Carcharodon carcharias) arborant de belles traces de morsures ont en effet été retrouvées sur les rivages d’Afrique du sud. Deux d’entre elles à Gansbaai, dans la province du Cap occidental, un village de pêcheurs connu pour être un spot touristique d’observation du grand blanc, la troisième un peu plus à l’est, à Struisbai. Après les attaques, pendant plus de deux semaines, les tour operators proposant des plongées en cage ont signalé une chute du nombre de signalement de grands blancs. De toute évidence, les grands blancs avaient déserté les parages, effrayés par plus effrayant qu’eux…

La chronologie des découvertes est exposée sur le blog Marine Dynamics par les biologistes du Dyer Island Conservation Trust, un organisme engagé dans l’étude et la préservation des écosystèmes marins sud-africains. Le trois mai, à sept heures du matin, était signalée la découverte d’une femelle, longue de 4,9 m – une taille respectable, correpondant à un individu sexuellement mature. Le lendemain, c’était autour d’un mâle plus petit, de 3,4 m, trouvé sur la même plage. Puis le sept mai, à un autre endroit, un autre mâle, mâture, de 4,5 m.

L’équipe a procédé à une batterie d’analyses complètes des squales, du moins des deux plus grands, car le second individu était moins bien conservé, comprenant des mesures morphométriques afin d’obtenir des informations fiables sur la taille des individus, une récolte de leurs parasites, copépodes et autres nématodes, des prélèvements de tissus musculaires, pour études génétiques, physiologiques et du régime alimentaire, ainsi qu’un examen approfondi de leurs blessures. Des vertèbres ont également été collectées pour des études sur la croissance, et tous les organes ont été dûment mesurés et pesés. Du moins ceux qui restaient.

Car le point commun de toutes ces carcasses est qu’elles avaient proprement été délestées de leur foie – ainsi que du cœur, dans le deuxième cas. Un travail de précision dans lequel les biologistes reconnaissent la dent experte de l’orque (Orcinus orca).

Le foie du grand requin blanc, gorgé de squalène, manque à l’appel. ©www.sharkwatchsa.com


Comment perdre foie

Et pourquoi donc le foie plutôt qu’une bonne soupe d’ailerons ? Tout simplement parce que cet organe, particulièrement volumineux chez le requin, est aussi particulièrement nutritif puisqu’il renferme une grosse quantité de squalène, un lipide naturellement produit par tous les animaux – toi aussi, o lecteur, dans ton auguste sébum. D’une densité inférieure à l’eau, c’est essentiellement lui qui permet aux poissons cartilagineux dépourvus de vessie natatoire comme les requins de flotter.

Si le spectacle de ces squales éviscérés échoués sur une plage constitue des observations « sans précédent », selon les biologistes qui ont eu à les autopsier, c’est parce qu’elles concernent des grands blancs. Les cas d’orques prédatant des requins, eux, n’ont rien d’étonnant. Pour autant, ils sont encore relativement mal documentés.

On sait tout d’abord que d’autres mammifères marins, les lions de mer qui évoluent sur les côtes de Californie, mettent régulièrement des requins – certes moins imposants, des requins léopard (Triakis semifasciata) – à leur menu. Leur technique est simple et efficace. Ils attrapent le requin par l’aileron, le tordent et retournent le squale pour pouvoir le mordre juste derrière les branchies. C’est un point faible. Tous les organes internes n’ont plus qu’à se déverser dans l’ouverture pratiquée par les crocs du lion de mer… Ceux-ci se gavent uniquement de la tripaille et laissent le reste de la carcasse, qui généralement coule. Un simple examen visuel permet laisse à penser que les orques procèdent de la même façon pour la dégustation. Les biologistes du Dyer Island Conservation Trust n’ont d’ailleurs pas attendu les résultats des nécropsies pour désigner les coupables… Pour ce qui est d’aborder le poisson, les orques ont plusieurs possibilités : elles peuvent l’encercler et l’amener à la surface pour arriver à le retourner, ce qui a pour effet de l’immobiliser (le requin, en état d’« immobilité tonique », est alors comme paralysé) : il n’y a plus qu’à se servir. Une autre technique possible et documentée consiste à distraire son attention pendant qu’une des chasseuses lui fonce dedans pour l’assommer (technique du bélier).

En théorie, on sait ensuite que, par rapport aux requins, les orques bénéficient d’un arsenal qui rend l’issue du combat assez prévisible. Elles sont plus grosses et plus rapides (48,3 km/h en vitesse de pointe, contre 40 pour le grand blanc), leurs capacités d’écholocations leur permettent vraisemblablement de détecter leur proie en premier, et surtout, elles chassent en groupes, ce qui leur permet de déployer des stratégies complexes et parfaitement adaptées à la proie qu’elles traquent. Le tout, sans se faire mordre.

Du requin au menu

En pratique, des observations ont été rapportées dans les îles Farallon, un archipel au large de San Francisco, concernant des requins Plat-nez (Notorynchus cepedianus), ainsi que dans le sud de l’Australie. Des carcasses de requins vaches ont aussi été retrouvées sur les plages d’Afrique du sud, de Nouvelle-Zélande et d’Amérique du sud.

En 2011, des chercheurs ont également rapporté dans la revue Aquatic Biology[1] que des orques hauturières du nord-est du Pacifique consommaient tant de requins dormeurs du Pacifique (Somniosus pacificus) que leus dents en venaient à s’user jusqu’à la racine, à cause des denticules qui recouvrent la peau des requins. Si les chercheurs n’ont pas eux-mêmes pu observer les cétacés à la manœuvre, les chasses ayant lieu à grande profondeur, ils ont en revanche pu identifier les proies grâce à l’analyse génétique de morceaux remontés à la surface…

Si les cas sud-africains ne permettent pas de conclure que les grands blancs sont une proie habituelle de certaines populations d’orques, elles élargissent encore le spectre alimentaire déjà considérable de ces mammifères.

C’est qu’on observe différents types d’orques, neuf populations distinctes (sans qu’on sache encore bien s’il s’agit de sous-espèces, voire d’espèces distinctes) évoluant dans trois des océans du globe (Pacifique Nord, Atlantique Nord, Antarctique). Tantôt résidentes, nomades ou hauturières, ces populations s’évitent et ne se reproduisent pas entre elles. Elles ont des structures sociales différentes, des vocalisations différentes, un habitat différent et, bien sûr, un régime alimentaire différent. S’il est possible, par exemple, d’aller nager avec les orques au large de la Norvège, c’est qu’il s’agit d’une population résidente de l’Atlantique nord (dite de type 1), qui se nourrit de maquereaux et de harengs, et que vous ne ressemblez pas à un hareng (du moins je l’espère). Mais il serait peu judicieux, toujours dans l’Atlantique Nord, d’aller faire trempette avec des individus du type 2, une population nomade qui, elle, se nourrit préférentiellement de mammifères marins…

Cette disparité explique que 140 espèces animales figurent au tableau de chasse de l’orque, dont beaucoup d’espèces de poissons osseux, de requins et de raies, et pas moins de 50 espèces de mammifères marins de toutes tailles, jusqu’à la baleine bleue. Tortues, dugongs, pingouins et autres oiseaux marins, et même élans (!) peuvent à l’occasion être également prédatées. Pour faire bonne mesure, les orques chassent même les fausses orques (Pseudorca crassidens). Certaines populations ne chassent donc jamais de requins, certains occasionnellement, et quelques unes semblent s’en faire une spécialité, comme celles de Nouvelle-Zélande[2]. En 2000, une équipe de chercheurs rapportait ainsi la première observation d’une prédation de requin mako (Isurus oxyrinchus) par des orques dans les eaux néo-zélandaises et soulignait que ces dernières semblaient être particulièrement friandes d’élasmobranches, puisqu’elles avaient déjà été prises sur le fait en train de chasser de grandes pastenagues (Dasyatis brevicaudata et Dasyatis thetidis), une raie-aigle (Myliobatis tenuicaudatus), un requin pèlerin, des requins bleus, des torpilles et des requins-hâ (Galeorhin usgaleus). Une donnée importante à prendre compte pour la préservation de la petite population d’orques néo-zélandaises (peut-être 120 individus) puisque requins et raies de ces eaux sont gavés de métaux lourds et de composés organochlorés…

Phoques: dans le creux de la vague

Compte tenu de la grande diversité des proies, il va de soi que les différentes populations d’orques des océans du globe ont développé des techniques de chasse tout aussi diverses. On en aura un très bon aperçu global sur le site seaworld.org. Et pour une vue plus détaillée, on pourra se référer à une astucieuse étude dans laquelle les chercheurs, plutôt que de chercher à réaliser des observations de terrain assez aléatoires, ont mis à contribution les savoirs de peuples habitués à fréquenter les orques, en l’occurrence les Inuits du Nunavut (artcique canadien), à travers une séries de 105 entretiens semi-directifs[3]. C’est là une source précieuse et détaillée d’informations de première main sur les techniques employées par les orques pour prédater les mammifères locaux, baleines franches, bélougas, narval et phoques (annelés et barbus).

Sans entrer dans le détail, ce qui frappe dans les diverses techniques de chasse d’Orcinus orca, c’est à quel point la collaboration entre les individus est importante, que ce soit pour chasser les poissons, comme les saumons, avec la technique du carrousel, ou les grandes baleines, en les noyant littéralement. Mais que les orques peuvent tout aussi bien chasser en solitaires, comme celles qui s’échouent volontairement sur les plages pour attraper des lions de mer se dorant la pilule. Lorsqu’elles sont collectives, les chasses servent aussi de masterclass pour les plus jeunes. Les orques argentines poussent ainsi les jeunes sur le rivage et s’échouent à côté d’eux afin de leur montrer comment s’y prendre, tandis que les adultes en Antarctique vont jusqu’à remettre des phoques qu’elles ont attrapés sur la glace afin que les jeunes s’essayent à leur tour.

À propos de phoques sur la glace, ma tactique de chasse collective préférée est sans doute celle de la vague. Certaines orques de l’Antarctique, naviguant de front, provoquent des vagues avec leur queue qui catapultent littéralement à la baille les phoques tranquillement installés sur leurs petits morceaux de glace flottante. Et comme des images valent mieux qu’un long discours…

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Ce comportement est connu depuis 1979. Mais ce n’est qu’en 2007 que les chercheurs ont pu documenter en détail une série de six scènes de chasse impliquant la technique de la vague, cinq concernant des phoques et une un manchot Adélie[4]. Les mammifères utilisent les vagues non seulement pour faire tomber leurs proies dans l’eau mais aussi, auparavant, pour réduire les plaques de glace puis pour en éparpiller les morceaux et nettoyer la zone !

Et pour conclure, si vous êtes amateurs de films d’horreur, vous avez probablement vu cette scène où le personnage, qui croyait s’être tiré des pattes du monstre, réalise avec stupeur que non, pas tout à fait… Hé bien, pour la version phoque, c’est à partir de 3 minutes, dans cette vidéo :

KILLER WHALES WAVE WASH SEAL – FROZEN PLANET… par valeriivankov


[1] Ford JKB, Ellis G, M, Matkin CO, Wetklo MH, Barrett-Lennard LG, Withler RE (2011) Shark predation and tooth wear in a population of northeastern Pacific killer whales. Aquat Biol 11:213-224. https://doi.org/10.3354/ab00307.

[2] Ingrid N. Visser, Jo Berghan, Rinie van Meurs and Dagmar Fertl, « Killer whale (Orcinus orca) predation on a shortfin mako shark (Isurus oxyrinchus) in New Zealand waters », Aquatic Mammals 2000, 26.3, 229–231.

[3] Ferguson et al.: Prey items and predation behavior of killer whales (Orcinus orca) in Nunavut, Canada based on Inuit hunter interviews. Aquatic Biosystems 2012 8:3.

[4] Visser, I. N., Smith, T. G., Bullock, I. D., Green, G. D., Carlsson, O. G. L. and Imberti, S. (2008), Antarctic peninsula killer whales (Orcinus orca) hunt seals and a penguin on floating ice. Marine Mammal Science, 24: 225–234. doi:10.1111/j.1748-7692.2007.00163.x.


 

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