Êtes-vous psychopathe ? 27


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HEADBANGING SCIENCE N°37

Lizzy Borden, Psychopath

Êtes-vous psychopathe ? Je vous pose la question parce j’aime bien savoir à qui j’ai affaire, tout de même, et quand je vois par quelle requête Google certains lecteurs parviennent jusqu’à ce blog, je dubite… Par ailleurs, personne n’est à l’abri, pas même les hommes de science, ainsi que nous allons le découvrir. Aussi pourrez-vous effectuer un test à la fin de cet article afin de savoir si vous êtes psycho ou pas.

Pour cela, un petit retour dans les années 1980 s’impose, avec Lizzy Borden, un groupe de heavy metal  de Los Angeles dont vous êtes probablement peu à avoir jamais entendu parler, mais dont le premier album Love You to Pieces (1985) donnait le ton, en particulier ce morceau intitulé, je vous le donne en mille, Psychopath (ne manquez pas la mise à mort, à partir de 3 :20) :

 

Attention, il faut suivre : si Lizzy Borden, le chanteur, poursuit de ses assiduités, la hache frétillante, cette prude jeune fille, c’est que Lizzy Borden, le groupe, fait référence dans Psychopath à Lizzie Borden, la psychopathe, une vieille fille du Massachusetts qui, en 1892, fut soupçonnée du double meurtre de son père et de sa belle-mère, trucidés à la hache. Outre-Atlantique, Lizzie Borden (1860 — 1927) a passionné ses contemporains et reste une icône de la pop culture américaine. Depuis peu, elle est aussi devenue une icône de la culture scientifique, grâce à James Fallon, un professeur d’anatomie et de neurobiologie à de l’Université de Californie  à Irvine, qui s’intéressait de près au cerveau des psychopathes…

Lors d’un barbecue dominical, voici quelques années, Fallon eut avec sa mémé une conversation qui allait changer le cours de sa vie. La vieille dame lui conseilla en effet de s’intéresser de près à sa propre famille, du côté de son père, une branche qui comportait un certain nombre de fruits blets : un de ses arrière-arrière-arrière…-grands-pères, Thomas Cornell, fut pendu en 1667 pour le meurtre de sa mère. Cette belle lignée devait produire sept autres meurtriers présumés, dont… la fameuse Lizzie Borden !

lizzie-borden

De quoi titiller l’intérêt du chercheur qui étudiait depuis 20 ans les bases biologiques du comportement psychopathique. Fallon incorpora donc à son corpus les scans du cerveau de 10 de ses proches, femme, enfants, parents, et frères et sœurs, qu’il avait recueillis par TEP (tomoscintigraphie par émission de positons) pour une étude sur Alzheimer. En examinant l’une de ces images, il vit que le cortex préfrontal de l’un de ces cerveaux ne montrait quasiment aucune trace d’activité. Or cette aire du cerveau, siège d’une flopée de fonctions cognitives « supérieures », est liée à l’empathie, à la moralité et au contrôle de soi (elle régule l’activité de l’amygdale, siège de l’agressivité et des pulsions de toutes sortes : violence, sexe, bouffe, etc.). Ce que Fallon avait devant les yeux était le cerveau typique d’un sociopathe. Le problème était que ce cerveau de sociopathe n’était autre que le sien, ainsi qu’il le découvrit, stupéfait, après avoir levé l’anonymat de cette image !

Comparé à un cerveau normal (en haut), celui de James Fallon (en bas) montre une activité significativement réduite dans les aires du lobe frontal liées à l’empathie et la moralité, des caractéristiques liées au comportement psychopathique.

Comparé à un cerveau normal (en haut), celui de James Fallon (en bas) montre une activité significativement réduite dans les aires du lobe frontal liées à l’empathie et la moralité, des caractéristiques liées au comportement psychopathique.

Un brin remué, Fallon ne recula pas devant la sombre perspective d’être un tueur en puissance. Il avait également demandé aux membres de sa famille de se soumettre à une prise de sang afin de pouvoir mener à bien une analyse ADN. Il s’intéressait à une série de gènes reliés à la violence et l’agression (dont le pseudo « gène du guerrier », une mutation du gène codant pour la MAO-A, une enzyme agissant comme stabilisateur de l’humeur).

Bingo ! Chacun, dans sa famille, avait hérité de variants plutôt « pacifiques » dans l’ensemble de tous ces gènes, à l’exception d’une personne, qui cumulait pratiquement tous les allèles que les chercheurs attribuent à l’agressivité, au manque d’empathie et à tous les traits associés aux psychopathes… James Fallon en personne. Dernier en date d’une longue tradition familiale.

L’histoire pourrait s’arrêter là. C’est celle de l’arroseur arrosé. Du chercheur qui devient son propre objet d’étude. Mais Fallon, qui tira un livre de son histoire (The Psychopath Inside: A Neuroscientist’s Personal Journey Into the Dark Side of the Brain), insiste surtout pour montrer que les gènes ne font pas tout dans le parcours d’un individu (ce que lui-même était enclin à penser avant de découvrir la face sombre de sa psyché), et que même en ayant tiré le gros lot en matière de facteurs de risques, nous ne sommes pas complètement déterminés génétiquement. Dans son cas, manquait un troisième ingrédient pour en faire quelque de pas du tout recommandable, qui n’aurait pas dépassé le stade de l’adolescence : une enfance à problème.

Pour autant, ce serait une erreur de croire que Fallon est un gars charmant qui aurait triomphé de son mauvais karma. Il s’est décrit lui-même dans différentes interviews comme quelqu’un de manipulateur et froid, étant passé pour un gosse étrange lors de son enfance, et ayant par la suite été irrésistiblement attiré par le danger, au mépris d’autrui. Et s’il cherche à faire amende honorable aujourd’hui, c’est avant tout par fierté égoïste ! Nuancer le poids des gènes et souligner le rôle de l’environnement ne revient donc pas à nier toute causalité biologique. C’est simplement que, comme pour les chasseurs, il y a les bons psychopathes et les mauvais psychopathes. James Fallon et Lizzie Borden. Le psychopathe « pro-social », qui a un peu de mal avec l’empathie, mais maintient tout de même un comportement social acceptable, et son aïeule, qui va prendre sa hache pour découper son entourage en rondelles.

Soit. Mais, si vous n’avez ni moyen d’imagerie fonctionnelle sous la main ni accès à votre génotype, comment savoir si vous être vous-même psychopathe ?

Ainsi que le rappelle Wikipedia fort utilement, tout psychopathe n’est évidemment pas un tueur psychotique (ils le sont même rarement, attention à ne pas confondre les deux termes). La psychopathie est un trouble du comportement finalement assez banal (il affecte environ 1 % de la population), mais pour lequel il n’existe pas de diagnostic à proprement parler, ni dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (ou DSM) ni dans la  Classification statistique internationale des maladies et problèmes de santé connexes. Autant dire que le concept est relativement flou. Selon Robert Hare, spécialiste mondial de la psychopathie, les psychopathes possèdent toutefois la plupart de ces caractéristiques (allez-y, cochez) :

  • Beaux parleurs
  • Charme, charisme, aura
  • Narcissisme
  • Absence d’empathie
  • Manipulateurs hors pair
  • Gestion virtuose de leur image
  • Labilité logique
  • Prise de risque
  • Absence de remords
  • Agressivité
  • Paranoïa
  • Appétit de pouvoir
  • Style théâtral
  • Connaissance de la langue, mais pas de la musique

À la lecture du dernier symptôme, certains des lecteurs de cette rubrique headbanging science seront sûrement soulagés.

S’ils veulent se rassurer encore un peu, ils pourront se risquer, sitôt finie la lecture de ce billet, à un petit test en ligne qui a été mis au point pour un show télé de Channel 4, The Psychopath Night, et qui est destiné à recueillir des données scientifiques à grande échelle sur tous les psychopathes Outre-Manche. Le test est l’oeuvre de Kevin Dutton, psychologue honoraire du Calleva Research Centre d’Oxford. Dutton (et d’autres avec lui), explique que la psychopathie se caractérise plus par des tendances à, que par une nature propre aux psychopathes — en d’autres termes, on ne naît pas psychopathe, même si certains individus ont des prédispositions à développer tel ou tel type de comportement, mais on le devient. En conséquence, on n’est pas total psychopathe VS pas psychopathe du tout, mais on se situe tous quelque part dans un spectre psychologique continu entre ces deux extrêmes.

Ce test n’est pas un véritable outil de diagnostic (encore heureux), mais il est tout de même valide sur le plan psychométrique, d’après Dutton. Outre la vérité sur votre propre cas, il vous révélera aussi que chez certains personnages de l’histoire, les plus psychopathes ne sont pas forcément ceux que l’on croit (ci-dessous, Newton gagne le match de la psychopathie face à Maggie, grâce à un détachement émotionnel à toute épreuve conjugué à un fort narcissisme 🙂

Newton-VS-Thatcher

Voici maintenant mon propre résultat, très modeste, qui a aussitôt rassuré ma famille :

Capture4

À la fin du test, vous aurez à remplir un petit profil signalétique lors duquel vous hésiterez peut-être à renseigner votre animal de compagnie préféré et votre style de musique. Pour l’animal, je ne sais pas si la réponse « le piranha » est un piège grossier tendu aux petits malins qui voudraient se faire passer pour psychopathe. Pour la musique, en revanche, vous pouvez répondre sans crainte « heavy metal ».

D’abord, parce que, dans le profil des répondants, ceux qui écoutent du rap sont (évidemment) plus psychotiques que les métalleux (qu’est-ce que ça aurait été si on avait suggéré la country ou le rock chrétien comme modalités). Ensuite parce qu’il y a une headbanging morale à toute cette histoire.

Si Lizzie Borden, notre vieille fille à la hache, avait effectivement l’air un peu bizarre, elle a été acquittée faute de preuves et n’est donc pas du tout, légalement, une meurtrière. Tout comme son lointain descendant, James Fallon, peut-être avait-elle des prédispositions à la violence qu’elle a su, pour une raison ou pour une autre, juguler. La terrible double meurtrière à la hache, qui a incité le scientifique à se pencher sur son passé, n’avait peut-être donc rien de si terrible, et pas de quoi l’inquiéter. Ce dont il aurait pu se persuader à moindres frais s’il s’était fié au seul verdict des juges — ou en regardant Lizzy Borden, son alter ego heavy metal, dont la lame d’opérette ne parviendrait sans doute pas à trancher un steak haché !

Je vous engage maintenant, chers lecteurs et chers confrères blogueurs du c@fé et d’ailleurs à faire le test à votre tour. Il y a peut-être un psychopathe parmi nous. Venez me donner vos résultats en commentaire (à moins que ne vous soyez momentanément derrière les barreaux).


A lire :

  1. Un article du Smithsonian consacré à Jim Fallon (en anglais) : The neuroscientist who discovered he was a psychopath
  2. Sur scienceabilly : La violence est-elle déterminée par nos gènes ? (en tout cas, c’est sûrement un blog de psychopathe, il y a des photos de Sarkozy ET de Céline Dion dans ce billet).
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